Benoît toisa un temps son interlocuteur: il n'était pas dans ses habitudes qu'on le pressât. Puis il s'avança vers le jeune homme et examina son torse maculé de sang. Il caressa d'un air songeur la plaie de ses mains glacées, avant de plonger ses yeux dans ceux d'Estarmin. Il y vit passer alors cette petite lueur qu'il avait décelé tant de fois auparavant, et qu'il prenait encore un plaisir pervers à chercher dans les yeux d'autrui. Il esquissa un sourire.
- " Vous avez peur de la mort maître Koori, pourtant vous la connaissez bien... "
Il fit aussitôt volte face, et alla quérir un morceau d'étoffe qui trainaît sur le comptoir, avec lequel il essuya ses mains ensanglantées.
Puis il se dirigea vers l'escalier de fer et descendit à la cave. D'un pas pressé il contourna l'alambic qui lui avait été livré la semaine dernière pour atteindre une étagère de bois où s'alignaient une multitude de flacons. Il les parcourut d'une main inquisitrice en tapotant de ses doigts chaque étiquette. Il opta finalement pour de l'huile essentielle d'eucalyptus, de thym et de genévrier. Il saisit ensuite un récipient métallique, une outre d'huile, une bougie, du fil, une aiguille et deux paires de gants et c'est essouflé et chargé qu'il regagna le chevet d'Estarmin. Il disposa son matériel sur un tabouret qu'il avança près de la table où gisait le blessé puis se saisit de ses deux paires de gants.
- " Pour vous messieurs, dit-il en s'adressant aux hommes vêtus de noirs, ramassez donc le fruit de votre précipitation. "
Il pointa du doigt le verre brisé au pied de l'étal.
Il alla chercher un chiffon qu'il mouilla pour éponger le front trempé de sueur d'Estarmin puis il lava le sang séché.
Puis il remplit à moitié le petit récipient métallique d'huile et fit chauffer le tout. Il alluma ensuite la bougie dont il récolta la cire chaude, qu'il mêla à l'huile, porta à ébullition et laissa refroidir brièvement de manière à obtenir une pâte liquide. Il ajouta ensuite quelques gouttes des huiles essentielles qu'il avait apporté et appliqua de cette pommade de fortune sur le torse ouvert du maître loup.
- " Pour vous désinfecter, grommela-t-il. Vous deux, lança-t-il aux hommes sous l'étal, tenez-moi cet homme. "
Ils s'exécutèrent tandis que Benoît brûlait le bout de son aiguille à la flamme de ce qu'il restait de la bougie. Pour désinfecter, rien de plus. Il fit passer alors le fil dans la tête de son aiguille puis se tourna vers Estarmin.
- " D'avance je vous présente mes excuses. "
Et il entreprit de suturer. Estarmin se crispa, gémit parfois tandis que Benoît s'affairait à son ouvrage. La plaie était longue et profonde, cela prit du temps. Il piquait, tirait, épongeait le sang et la sueur, piquait et tirait à nouveau. Quant il eut fini, il redressa le jeune garçon.
- " Le fil est fin, mais solide. Epargnez-vous de trop grands mouvements et reposez-vous, il tombera de lui-même ".
Il appliqua de sa pommade sur le buste suturé. Puis il se leva, transvasa ce qu'il restait de l'onguent dans un flacon de bonne taille et le tendit à Estarmin.
- " A appliquer trois fois par jour. Revenez-me voir si cela vient à manquer. Vous deux! Ramenez donc Maître Koori à la maison close qu'il fréquente, il y sera entre de bonnes mains: solide est notre homme, pas assez pour rentrer tout seul hélas, je le crains. Vous reviendrez bien entendu ôter les dernières traces de votre négligence. Bonne soirée maître Koori, autant que faire se peut. "