Benoît éprouva un profond sentiment de soulagement lorsqu'il arriva sur le seuil du magasin: il retrouvait le luxe dans lequel il avait grandi. Il s'arrêta un temps devant la coquette devanture en bois aux larges fenêtre: il aurait suffisamment de lumière pour conserver des plantes, et suffisamment de charme pour être aperçu.
Il ôta le trousseau de clefs qu'il portait à la ceinture, les fit glisser une à une le long de l'anneau partiellement rouillé jusqu'à saisir la petite clef argenté qui lui permettrait de rentrer. Il la glissa dans la serrure, sentit le verrou céder et poussa la porte qui fit tinter la clochette suspendue de l'autre côté. Naturellement la pièce était vide, mais elle lui paraissait spacieuse. Il referma la porte et traversa la pièce pour atteindre l'escalier en fer noir, tout au fond, à gauche. Celui-ci permettait à la fois de monter à l'étage supérieur, où il logerait, et de descendre au sous-sol. Il descendit donc pour entrer dans ce qui était en vérité un vaste entrepos où s'entassaient, sous une couche de poussière, les étagères en bois qui avaient sans doute servi à entreposer les fleurs avant que l'endroit ne change de propriétaire. Il se résolut donc à leur redonner leur ancien usage et les monta donc, non sans peine, pour les disposer en étroits rayons dans la boutique même. Puis il descendit à nouveau. L'entrepos était à présent vide. A l'abri de la lumière, peu humide, il paraissait idéal pour en faire une sorte de laboratoire où il pourrait confectionner remèdes comme poisons. Il lui faudrait néanmoins se procurer un alambic, ce qui n'était pas chose aisée, se faire monter un plan de travail, en pierre de préférence, et acheter diverses pièces de verrerie ce qui représenterait un coût non négligeable. Ainsi serait-il.
Il se rendit ensuite à l'étage, où se trouvaient ses appartements. Le décor était de même facture à savoir quasi totalement boisé. Il disposait d'une cheminée, ce qui était son exigence, d'une table de bois noir, aux chaises assorties, reposant sur un imposant tapis de laine aux motifs compliqués et d'un lit à baldaquins, aux rideaux épais d'un velours vert foncé. Pour le reste, les commodités étaient celles que l'on trouvait dans n'importe quelle habitation des beaux quartiers: sobres mais complètes. Il suspendit son long manteau au crochet de bronze qui jouxtait les étagères remplies de livre, ôta son béret puis se déchaussa. Il avança alors vers la fenêtre qui donnait sur la rue.
*Voilà ma nouvelle famille*
Il aperçut de loin une charette colorée remplie de plantes dont fleurs et feuilles se dispersaient dans la rue à mesure que l'attelage frappait les pavés. Bientôt les étagères qui lui avaient donné tant de peine retrouveraient une seconde jeunesse. La charette s'arrêta devant chez lui dans un grand craquement, il entendit les pas d'un homme puis le tintement de la clochette du rez-de-chaussée.
-"Ca y est, se dit-il à lui-même, nous sommes ouverts"